Décidé à devenir son propre patron, Egide Ndayisenga a bravé différents défis pour créer Fruibu (Fruits du Burundi), une entreprise de transformation de maracujas et d’ananas.
Quel a été le déclic pour créer Fruibu ?
J’ai pensé à créer Fruibu suite à deux constats. D’abord, je me suis rendu compte que les cultivateurs de fruits avaient des difficultés pour conserver leurs récoltes. Les ananas et les maracujas en particulier s’abîment assez rapidement. Je me suis interrogé sur la façon dont je pouvais résoudre ce problème. C’est alors que j’ai pensé à la transformation de fruits. En second lieu, je voulais créer mon propre travail pour échapperà un chômage galopant. Créer Fruibu en 2014 me l’a permis.
Avez-vous rencontré des difficultés pour démarrer ?
Oh que oui, (rires) ! Les découragements ont plu de partout. Certaines personnes me disaient que je ne pourrais pas faire face à des entreprises de renom comme Akezamutima ou Fruito, que je n’aurais pas de marché. Mais j’ai tenu le coup.
Et le capital ?
J’ai lancé Fruibu trois ans après mes études secondaires. Je n’étudiais pas, à ce moment là, mais je faisais de petits jobs à gauche et à droite, qui me permettaient d’épargner.Heureusement, une personne a adhéré à mon projet et m’a donné 400.000Fbu, somme que j’ai ajoutée à mon épargne de 200.000fbu. Avec ce capital de 600.000Fbu, je me suis lancé.
Comment vous approvisionnez-vous ?
Bujumbura n’est pas très productrice en fruits. Cinq agriculteurs de Bujumbura Rurale me fournissent régulièrement. Mais, aux périodes (la saison sèche) où les récoltes ne sont pas satisfaisantes, je suis obligé d’acheter à un prix élevé. Par exemple 1kg de maracujas à 2000Fbu, alors qu’en temps normal, je l’achète à 1200Fbu.
Et maintenant ? Fruibu est-elle une entreprise rentable ?
Oui. Je parviens à payer mes études d’université grâce aux revenus générés par la commercialisation des jus. J’ai pu aussi m’équiper d’une voiture, ce qui m’aide pour les livraisons. J’en suis satisfait.
Combien de personnes employez-vous ?
Six personnes travaillent dans l’entreprise.
A combien vendez-vous une bouteille de jus ?
Je suis un entrepreneur grossiste. Je vends une caisse de 24bouteilles à 22000Fbu, soit 920Fbu par bouteille de 33cl. Les prix sont identiques pour le maracuja ou le jus d’ananas, et à mon avis, ils sont abordables.
Quels sont vos clients ?
Je vends mes jus dans différentes alimentations, dont La Faveur, l’International Shop, Naomi Shop. Je fournis aussi certains restaurants
Vous ne visez pas l’exportation à l’étranger?
Pas encore (rire). Mais j’ai déjà participé à des expositions locales. L’an dernier, j’étais présent dans une foire au Palais des arts, et les gens ont beaucoup apprécié le jus d’ananas.
Quels sont vos défis aujourd’hui ?
J’utilise toujours des machines mécaniques faute de moyens et ça ralenti la production. L’idéal serait une machine électronique.La crise que connaît le pays se fait également sentir dans le secteur économique : la demande a baissé.L’autre difficulté est liée à l’emballage. Faute d’une entreprise locale qui produirait des bouteilles en verre, j’utilise celles de la Brarudi. C’est un handicap, car l’emballage varie et les jus se retrouvent dans des bouteilles différentes.
Vos projets d’avenir ?
Je prévois de commencer prochainement la production de jus de betteraves et de carottes. J’ai déjà fait des essais. Le résultat n’est pas encore satisfaisant pour la commercialisation, mais j’y arriverai. Si je dégage un peu de bénéfice, je compte m’équiper d’un second véhicule, pour des livraisons plus rapides.
Bref, mon rêve est que, d’ici à dix ans, on trouve toujours un produit de Fruibu parmi les quelque cinq articles ou plus qu’une personne achète en magasin.
Que diriez-vous à un jeune qui veut se lancer ?
Beaucoup de jeunes ont peur d’en prendre le risque. Or, c’est cela être un entrepreneur, prendre le risque. Qui ne tente rien n’a rien !J’aime appuyer les jeunes qui veulent se lancer. J’ai déjà aidé un groupe d’amis à réaliser le projet qu’ils avaient en tête, et ils ont aujourd’hui un petit restaurant.
Bio express
Né à Kabezi en 1988, Egide Ndayisenga est quatrième d’une fratrie de quatre filles et trois garçons. Après des études primaires à l’école EP Kabondo, il fait le secondaire au Lycée du Lac Tanganyika, puis étudie l’électromécanique à l’école Saint Luc. C’est à 26 ans qu’il lance Fruibu. Actuellement, parallèlement à la direction de son entreprise, Egide suit des études en Ressources Humaines à l’International University of Equator. Fervent chrétien, Egide aime prier. Sportif, il joue au basket et regarde des matches de football.
Témoignages
«Je n’ai jamais douté de sa réussite»
Grand frère d’Egide Ndayisenga, Olivier Nzambina a toujours eu confiance en sa détermination.
Aux côtés d’Egide depuis le début du projet, c’est avec joie qu’Olivier a accueilli son idée d’entreprise. «Egide a toujours eu un esprit de créativité, je n’avais pas vraiment à m’inquiéter», se souvient-il.
Il ajoute que son frère n’en n’était d’ailleurs pas à sa première idée d’entreprise. «A l’adolescence déjà, il faisait du commerce de charbon et de légumes et ça marchait».Ce sera l’une des raisons qui vont pousser Olivier àencourager Egide dans son projet de transformation de fruits. «Je savais que dans le temps il avait réussi, pourquoi pas maintenant ?»
Olivier rappelle aussi que malgré des débuts difficiles, Egide n’a jamais baissé les bras. «Au tout début, la production se faisait une seule fois par semaine. Maintenant, c’est quatre fois. Et il voit bien sûr dans cette progression le résultat des effortsfournispar son frère.
Egide est aussi un gros bosseur, souligne son aîné. «Je peux aller me coucher la nuit, alors qu’il est encore en train de concocter de nouvelles idées. Il en a toujours en tête, et il cherche toujours à s’améliorer. »
Pour Olivier, son frère est un exemple à suivre «Des jeunes du quartier commencent déjà à lui demander conseil pour se lancer à leur tour ».
«Je m’approvisionne chez Egide et je ne compte pas arrêter»
Client fidèle d’Egide, Eric Nimbona apprécie la qualité des jus produits par l’entreprise FRUIBU.
«Cela fait six mois que je m’approvisionne chez Egide, et j’ai bien l’intention de continuer». Eric, vendeur dans un petit café du quartier Kinindo, explique ses raisons : « Le jus d’ananas de Fruibu -particulièrement apprécié par les clients est naturel. On n’ y ajouté ni eau ni sucre. Et la passion de maracuja contient peu de sucre». Eric ajoute que le jus se conserve facilement « jusqu’à quatre mois » et qu’il le conseille souvent à ses clients.
Eric achète chaque mois une caisse de jus d’ananas et une autre de maracuja chez Egide Ndayisenga. Il revend une bouteille de jus 1200Fbu.
Conseil d’un pro
«Egide Ndayisenga doit soigner l’emballage de ses produits. C’est un élément important du marqueting»
Pour Bélyse Mupfasoni, enseignante-chercheuse à l’université du Burundi, Egide Ndayisenga doit se focaliser sur son actuelle activité.
«Au delà de son rôle de protection et de conservation du produit, l’emballage communique une information aux clients» fait savoir Mme Mupfasoni. L’emballage, permet en effet à la clientèle de reconnaitre l’entreprise et de différencier ses produits des autres sur le marché.
Or, insiste-t-elle, l’utilisation de différents emballages (en l’occurrence des bouteilles) peut créer une confusion chez les clients. Certains peuvent penser à une innovation de l’entreprise, ou alors à un nouveau produit sur le marché. «D’où la nécessité d’une stratégie d’harmonisation pour familiariser la clientèle aux produits »
Cette enseignante-chercheuse conseille donc à Egide de revoir sa stratégie de marqueting. « Egide peut acheter des bouteilles dans la sous région, si c’est dans ses moyens». Pour elle, Egide a déjà dépassé plusieurs phases, celles de l’essai-erreur et de la commercialisation, il doit maintenant penser à uniformiser ses emballages.
Concernant les problèmes d’équipements, Mme Mupfasoni incite à la prudence car la plupart des entrepreneurs tombent dans le piège d’investissements trop rapides. « Il doit être sûr que son entreprise peut supporter de nouvelles dépenses».
Mme Mupfasoni encourage, mais avec modération, la diversification à laquelle pense Egide. «Je suis de ceux qui pensent que la diversification est nécessaire pour l’entreprise». Elle estime que si une opportunité s’offre à Egide (une machine pour la transformation de betteraves ou de carottes), il peut prendre ce risque.
Toutefois, si la diversification vient accroître les difficultés existantes «le mieux pour cet entrepreneur serait de se focaliser sur l’actuelle activité pour bien s’établir».